Silhouette Balmain 2019
Je danse le Mia.
Hier soir, la sœur de mon colocataire est rentrée dans l’appartement Stan Smith aux pieds. Aujourd’hui, j’ai croisé pas moins de 20 personnes portant fièrement leur paire de baskets blanche aux trois bandes. Pourquoi ? Comment ? Dis Siri, elle sort d’où cette Stan Smith ?
1964
Première apparition de la fameuse basket blanche by Adidas.
Les années soixante. Le tennis est en plein essor. Adidas demande au joueur Robert Haillet alors numéro 1 du tennis français de concevoir la première paire de chaussures techniques en cuir. Et quelle paire ! Cependant, c’est dans les années 70 que la fameuse paire connait sa première heure de gloire grâce à un joueur californien à la gueule marketée, Stanley Smith. Le vainqueur de Wimbledon offre un souffle nouveau à cette paire poussiéreuse, la voilà devenue culte.
Cette paire est ensuite passée aux pieds des skinheads, des Reggae men et même des Holligans. Ces groupes sociaux voyaient en elle un levier d’identification primordial. La Stan Smith se reconnait, elle est un signe identitaire incontestable. La chaussure est alors présente dans des groupes sociaux tout à fait différents mais véhicule la même idée : le fantasme du clan.
L’avènement de la Stan Smith vient cependant du monde du hip hop où elle sera complètement démocratisée. Les groupes Rap Run Dmc ou IAM ont fait la réputation de la fameuse paire de baskets blanches en l’intégrant dans les paroles et les clips de leurs morceaux.
“Au début des années 80, je me souviens des soirées Où l’ambiance était chaude et les mecs rentraient Stan Smith aux pieds le regard froid Ils scrutaient la salle le trois-quart en cuir roulé autour du bras Ray Ban sur la tête survêtement Tacchini Pour les plus classes les mocassins Nébuloni”
IAM, Je dans le Mia, 1993
Ensuite, s’en suis l’histoire qu’on connait tous, retirée du marché pour être redistribuée en 2014, la Stan Smith a vacillé entre périodes d’ombre et de lumière pour atteindre le summum de son style qui a fait d’elle un must-have incontestable.
Mais comment cette chaussure identitaire/minoritaire puis démocratisée dans la culture pop a finalement atteint le stade ultime d’incontournable ?
Pour comprendre ce phénomène, nous allons devoir nous pencher sur les valeurs et les besoins de notre société.
Chaussure plate, souple, blanche, la Stan Smith s’accorde avec tout, tout le temps. Il n’est pas rare de voir des jeunes filles en jupe arborer fièrement leurs baskets blanches comme nous voyons aussi des hommes en jean ou costume fouler les trottoirs Stan Smith aux pieds.
Mais qu’est-ce que ça dit de notre société ? Pourquoi escarpins vernis et chaussures de ville sont supplantées par une paire de basket ? Cette paire est devenue si culte qu’il est aujourd’hui impossible de faire un fashion-faux-pas en les portant.
En 1987, Faith Plotkin, consultante en marketing et prévisionniste de tendance plus connue sous le pseudonyme Faith Popcorn, invente le terme « cocooning ». Pourquoi ? Parce que la société avait besoin de nommer l’idée selon laquelle les individus désiraient plus de confort. Cette Stan Smith est le reflet de cette quête d’aisance dans le style.
La société se décontracte en adoptant les styles du hip-hop français, la basket revient au coeur de tous les styles. Le consommateur attend des silhouettes sportswear dans lesquelles il sera à l’aise. Cependant, la Stan Smith dépasse le sportswear, la Stan Smith est habillée, la Stan Smith est chic.
La Stan Smith émerge alors de la culture urbaine pour enfin toucher les plus grands défilés. Kanye West ou Marc Jacobs font vivre la fameuse basket blanche dans les hautes sphères de la mode. Ainsi, la basket ne devient plus seulement un attribut populaire mais davantage l’uniforme universel. La Stan Smith n’est plus cool, identitaire ou chic. La Stan Smith est là, partout, et n’est plus vraiment un choix. La basket blanche se porte aux pieds de tous, sans distinction. Par ailleurs, on peut noter qu’en 2014 – date à laquelle la Stan Smith a été rééditée – de grandes maison comme Dior ou Chanel dévoilent leurs premières baskets haute couture. Néanmoins, la Stan Smith demeure à la basket ce que les Beatles sont au rock : indétrônables. Pharell Williams, Raf Simons, Rita Ora vont même aller jusqu’à dessiner leurs propres Stan Smith pour Adidas qui finiront dans la bible incontestable de la mode – Vogue.
A l’heure de la révolution du genre, des problématiques LGBTQ+, la basket gagne du terrain. Oui, mais pas n’importe quelle basket : la Stan Smith.
En 2014, de nombreux pays comme le Luxembourg ou le Royaume-Unis accordent le mariage homosexuel. En avril 2014, l’Inde reconnait l’existence d’un troisième genre. Les questions d’appartenance sexuelle sont au coeur des débats.
La Stan Smith apparait alors comme LA chaussure non genrée par excellence. Elle est blanche, distribuée de la taille 17 à 48, la Stan Smith s’adapte à tous les pieds. La société avait donc besoin d’une chaussure universelle (et pas comme le suffrage universel masculin de 1799, qu’on s’entende), une chaussure réellement universelle pour qu’hommes et femmes puissent se retrouver sous le même drapeau. Cette approche non genrée du style colle aux univers du dressing mixte, du vestiaire masculin sur le dos des femmes et inversement. La basket aux trois bandes propose alors en 2014 une vision moderne et jeune d’un même vestiaire pour deux personnes.
Ainsi, la Stan Smith est devenue un must-have en répondant aux attentes d’une société en transformation. Chacun a voulu porter la basket blanche pour répondre à ce besoin d’universalité totale qui se pré-sentait dans des causes comme celle des LGBTQ+. La Stan Smith a proposé un nouveau regard sur la mode en comprenant que le consommateur voulait un style accessible, pratique. De cette manière, cette chaussure émerge de la culture sportive, grandit dans des milieux hip-hop pour atteindre les plus hautes sphères du monde de la mode.
Mais chérie, que vas-tu devenir ?
La Stan Smith, on l’a adoré au début, puis oublié, et adoré à nouveau. Cette fameuse chaussure semble bien installée dans nos dressings. On peut néanmoins se demander si l’hyper féminité présentée sur les podiums depuis #metoo ne viendra pas chasser une basket devenue trop transparente. De plus, les questions de genre sont aujourd’hui davantage tournées vers la revendication, la fierté et la transgression que vers un effacement au profit d’une masse uniforme. Des artistes en vogue comme Bilal Hassani ou Mj Rodriguez bouleversent à leur tour les notions de féminité et de masculinité. La discrétion des minorités contestataires due à l’appréhension de la société s’atténue petit à petit. Femmes, hommes, LGBTQ+ revoient ces problématiques et les réinventent par une féminité exacerbée qui ne laisse que peu de place à la fameuse basket blanche qui est peut-être à l’aube d’un nouveau déclin.
En 2014, lors des manifestations pour tous, la communauté LGBTQ+ devait faire face à l’opinion populaire, cette communauté a dû prouver son appartenance à la masse pour être acceptée. Les femmes vivaient une période sobre d’effacement qui a ensuite été expliquée par le mouvement #metoo. Depuis, on observe une véritable libération des causes féminine et LGBTQ+. La société se féminise à grand pas sur des plateformes de 12 centimètres. Des acteurs de la mode comme Olivier Rousteing pour Balmain rendent à la silhouette féminine son pouvoir, son glamour. La tendance va donc vers une hyper-féminisation et la basket semble perdre du terrain. Alors, quel avenir pour la chaussure aux trois bandes ? Va-t-elle résister à ce bouleversement social en s’y adaptant ou simplement disparaitre en attendant un nouveau revival ? Affaire à suivre.
Le Dehors.