Marlene Dietrich dans Agent X27 – 1931

 

Marlon Brando, L’équipée Sauvage – 1953

Défilé Jean-Paul Gaultier -1977

Azzedine Alaïa et sa silhouette gainée dans un corset de cuir

 

Blouson en cuir, it rocks babe.

Depuis bientôt deux semaines la pluie m’empêche de mettre mon cher et tendre perfecto en cuir. Incommensurable tristesse (lol), j’ai cherché à comprendre pourquoi il me manquait tant.

Nous le savons tous, le perfecto est originellement rebelle, provocant. Cependant, il est devenu aujourd’hui éminemment classique. Nous allons nous interroger sur l’évolution d’une pièce si rock qui s’est délayée dans les dressings pour devenir le plus conventionnel des basiques.

Le cuir a d’abord triomphé dans la rue, dans le cambouis des motos et dans le vacarme de leurs moteurs. Le vêtement en cuir a toujours évoqué un imaginaire douteux et sombre. Incontestablement punk et rock, il a néanmoins recouvert les épaules des SS pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi ? Parce que le blouson en cuir impressionne, il n’a pas d’identité fixe, il est ancré dans une histoire de non-droit, de violence, de rage.


Le blouson en cuir est mixte, mais il n’est pas enfilé par n’importe quelle femme. En 1931, Marlene Dietrich joue une prostituée devenue agent secret dans Agent X27 dont le titre originel fut Dishonored : le fantasme du cuir émerge peu à peu. Le blouson de cuir noir suinte ses origines rebelles et sombres.

Petit à petit, le blouson en cuir a infiltré les bureaux de police américains pour habiller les agents d’un uniforme robuste. Ce sont ensuite les motards qui ont commencé à s’en emparer. Beaucoup d’entre eux étaient d’anciens soldats, possédant déjà cette pièce de leur vie antérieure. La fin de la Seconde Guerre mondiale a laissé dans les esprits un vide existentiel. Les hommes sont amorphes, mènent une existence creuse, absurde. Alcool et violence sont peu à peu devenus leur passe-temps favori et leur réputation de personnages durs et crus s’est installée dans la conscience collective. Le blouson en cuir, un de leurs attributs principaux, n’a pas échappé à ce jugement hâtif. Ces hommes, originellement issus de la classe ouvrière, accentuaient ainsi leur différence avec les gendres idéaux vêtus de costumes bien coupés.

Bad girls, bad boys, good leather

Certaines femmes, à l’image de l’aventureuse Marlene Dietrich, rejoignirent leurs rangs. Aujourd’hui encore, la femme rebelle, insoumise, porte le blouson noir comme un signe de rébellion. L’héroïne Marvel alcoolique et affligée de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos, Jessica Jones, n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis pour faire valoir ses droits. Elle porte le blouson en cuir comme l’étendard de sa liberté. Grâce à cet apparat, elle s’inscrit dans un imaginaire de violence brute, dure, qui transpire la sueur des soldats américains tombés dans l’alcool post Seconde Guerre mondiale. Ce blouson recompose un univers chaotique autour de l’histoire bouleversée de Jessica Jones. Le cuir est alors la seconde peau qu’elle se choisit ; une pièce tirée du vestiaire de la débâcle psychique de la seconde partie du 21ème siècle afin d’incarner ses propres tourments.

Et comme toujours, un film a définitivement consolider cette symbolique. Marlon Brando, moulé dans un perfecto en cuir noir dans L’équipée Sauvage de 1953, propose au monde un héros digne des Hells Angels, club de motards criminels qui sévissent dans le monde entier. Il va sans dire que l’acteur offre à voir une vision toujours plus glamour du motard rebelle.

Progressivement, l’image du mauvais garçon nait. En 1959, les médias français inventent l’expression des “blousons noirs” pour qualifier la jeunesse incandescente qui s’affronte en deux bandes rivales dans la capitale. Ces deux gangs forment la version frenchy des motards américains : ils sont issus de la classe ouvrière et refusent en bloc la trivialité de leur existence. Les médias leurs accusent toutes les violences : voitures brûlées, vandalisme, rixes à coup de barres en fer.

Rock puis pop

Les rockeurs s’emparent ensuite du blouson en cuir pour confirmer leur image de “durs” et asseoir leur crédibilité de “marginaux” auprès de leur audience. Jim Morrison, les Doors, Lou Reed, les Ramones, The Clash, Springsteen ou George Michael, pas un n’y échappe.

Après eux, ce sera la comédie musicale Grease qui exhibera le blouson de cuir noir pendant les années 70 et 80. Peu à peu, l’image rock et insoumise glisse vers une culture plus populaire. Le spectacle joué plus de 3000 fois et le film mettant en scène les jeunes John Travolta et Olivia Newton-John feront le tour du monde. Cette ferveur créera pour la jeunesse un réel besoin d’identification à ces nouveaux héros du quotidien. Les blousons en cuir vont bientôt recouvrir les épaules de toute une génération.

Sur les podiums

La Haute-Couture regarde ce phénomène d’un oeil curieux et attentif. Black Panthers insoumis, Greasers populaires, rockers rebelles, communauté homosexuelle utilisant le blouson de cuir comme un signe d’appartenance, chacun a sa propre interprétation du blouson. Yves Saint Laurent ne tardera pas non plus a vouloir le sien et à lancer un réel engouement dans les plus hautes sphères de la mode parisienne. Le couturier dessina son premier blouson en 1960, mais c’est lorsque Jean-Paul Gaultier l’associera à un tutu de danse classique que le blouson prendra un sens nouveau : un luxe inouï.


Par la suite, Chanel et Versace se mettront au service de cette pièce devenue emblématique. Chez Thierry Mugler, le cuir recouvre le corps entier, il devient incontestablement érotique. Azzedine Alaïa moule les fesses et les seins des femmes en laçant du cuir autour de leurs formes galbées.

Aujourd’hui, le cuir a perdu de sa violence, il s’est assagi car il n’habille plus seulement une forme de marginalité. Lorsque la Haute Couture s’est emparée du phénomène, elle a donné aux grands magasins et aux chaînes de prêt-à-porter un nouveau modèle mixte et facile.

Le blouson de cuir a tellement voyagé d’un courant culturel à un autre qu’il en a perdu sa force. Bien qu’il garde un imaginaire rebelle, nous avons oublié ses racines et nous le portons comme un simple accessoire de mode édulcoré. Les appropriations successives ont perdu le blouson dans une forme d’engagement brûlant mais vide de sens. Le mythe du blouson de cuir noir s’est dissout dans la masse. Il n’est plus une revendication, mais simplement une silhouette pop rock plus proche de la variété RTL2 que de la fougue d’Iggy Pop.

De plus, les innovations en matière de textile ont permis de créer des cuirs en synthétique, bien moins chers que les peaux de bête originales. Cette baisse du coup a permis au plus grand nombre de s’approprier cette tendance démocratisée devenue désormais très abordable.

En revanche, la culture de cette pièce iconique devenue mainstream a offert au blouson une visibilité incontestable. Il est entré dans le beau monde des basiques de la mode. Aujourd’hui dans chaque dressing, il suggère une histoire populaire, rebelle, dure, tout en offrant la possibilité à chacun de montrer à son niveau le côté côté rock qui sommeille en lui.

Le Dehors.