Joie, Coeur de Pirate viens de remettre au gout du jour le tube Femme like U de mon premier amour – le génie K-maro.
Sans aucune hésitation, je me rue sur le clip. Et là, fascination. 3 minutes et 14 secondes de pur style.
Coeur de Pirate se transforme le temps d’une chanson en vitrine Dior, Gucci ou encore Vuitton. Chaînes en or et lunettes de luxe, elle nous rappelle l’essence du bling-bling. Son accoutrement lui donne allure volontaire, intrépide, clinquante. En un mot, la belle québécoise devient BADASS.
Alors, comment est-ce possible qu’un tel déguisement arrive à transformer une personnalité en un claquement de doigts ? Comment le bling-bling peut insuffler en un instant un tel vent de puissance tout en tournant en ridicule les signes ostentatoires de richesse ?
Revenons d’abord sur une définition littérale de l’adjectif bling-bling par le Larousse :
“qui fait étalage de sa richesse”. “Bling-bling” est également l’onomatopée des chaînes en or clinquant les unes sur les autres annonçant la venue d’un personnage éminemment riche.
Le terme bling-bling est né de la culture hip-hop. Néanmoins, c’est un morceau de musique qui ancrera ce terme dans un environnement plus global. En 1999, le rappeur né à la Nouvelle-Orléans du nom de Baby Gangsta sort son titre Bling-Bling. Il y fait l’apologie d’une apparence luxueuse tout en revendiquant des origines populaires.
On peut y entendre :
“Medallion iced up, Rolex bezelled up
And my pinky ring is platinum plus
Earrings be trillion cut and my grill be slugged up
(…)
Booted up, diamond up, golds be shinnin’ up”
“Mon médaillon brille, ma Rolex est sortie de son écrin,
La bague à mon petit doigt est en platine
Mes boucles d’oreilles valent des billions et mes dents son incrustées de diamants,
(…)
Je suis prêt, mes diamants sont en place, mes bijoux en or brillent”
Cette traduction ne peut pas être réellement littérale dans le sens où nous sommes face à un jargon propre au rap américain, cependant, nous comprenons le sens et le message véhiculé par ces quelques lignes. Le rappeur Baby Gangsta étale sa richesse au plus grand nombre, il revendique l’accumulation de signes ostentatoires de richesse comme la caution de sa réussite sociale.
Ainsi, nous voyons que le rappeur issu de quartiers défavorisés se reconstruit une identité grâce à la démonstration d’articles de luxe.
Suite à ça, nombre de rappeurs américains ont adopté cette posture tape-à-l’oeil. Parmi eux, on pourrait citer 50cent (à gauche) ou encore Lil Wayne (à droite).
On peut également noter que ce mouvement s’est propagé plus largement au domaine de la musique en général jusqu’à ensuite atteindre des personnalités comme Paris Hilton qualifiée de Barbie du Bling grâce à ses boucles blondes et ses diamants proéminents.
Enfin, l’allure de l’ancien président de la république française, Nicolas Sarkozy, a donné un adversaire de taille à “la gauche caviar” : la bien nommée “droite bling-bling” aux montres et lunettes de luxe.
Il semblerait tout de même que le bling-bling soit ancré dans une certaine temporalité. Les années 2000 ont vu fleurir de nombreux phénomènes rendant compte de ce style ostentatoire. Nous pouvons noter en tête de liste Sex and the City diffusé entre 1998 et 2004 mettant à l’honneur Carrie Bradshaw interprétée par Sarah Jessica Parker, le plus bling des personnages ne jurant que par ses escarpins Manolo Blahnik et ses sacs Dior.
Aujourd’hui, le bling-bling est encore bien présent, en témoigne la vidéo nommée “Official Kylie Jenner Office Tour” sur Youtube. La plus jeune milliardaire du monde est vêtue d’une robe en cachemire Chanel (3290€) sur laquelle le sigle de la marque est immanquable. Mais ici, ce qui importe n’est pas le prix de l’article en lui-même, c’est l’imaginaire du luxe auquel il renvoie. En arborant le signe de la marque de Haute Couture française la plus connue au monde, Kylie Jenner appuie sa réputation. C’est une femme d’affaires présentant son bureau au grand public, elle assoie sa légitimité avec cette démonstration de richesse flagrante, évidente. Ainsi, Kylie Jenner prend place dans le monde très exclusif de la Haute couture et de l’univers élitiste auquel il renvoie.
Ici, la star des cosmétiques, Kylie Jenner, fait un pied de nez à une élite BCBG bien installée. Bien qu’ayant été propulsée sur la scène publique par l’émission de télé-réalité Keeping Up With the Kardashians, la jeune femme montre que son succès est réel et palpable.
Ce culte de la marque a ouvert de nouveaux horizons à la contrefaçon. Ce qui compte n’est plus l’article de luxe en lui-même mais bien plus la représentation de la marque. Le consommateur veut voir le logo.
Les enseignes de luxe ont vu ce phénomène les dépasser dans un premier temps, elles ont peu à peu mis en place des stratégies afin de s’approprier de nouveau leurs produits et reprendre le contrôle de leur image de marque.
La légende dit que, quand en 1994, Snoop Dogg a fait une apparition dans l’émission Saturday Night Live avec un sweat-shirt oversize griffé Tommy Hilfiger, la pièce en question a été en rupture de stock dans tout New-York. On vit ainsi fleurir sur les podiums des articles pouvant répondre à ce nouveau besoin de show-off.
Chanel a progressivement proposé des articles de plus en plus brandés comme les chaînes et cadenas créés en clin d’oeil au style de Treach du groupe Naughty by Nature. Le rappeur porte ce bijou dès le début des années 1990 en hommage à ses amis enfermés en prison. (source : Hundred ideas that Changed Fashion, Harriet Worsley – 2012).
Les marques de luxe proposent des symboles facilement reconnaissables issus de la culture de l’étalage.
Ainsi, les marques les plus luxueuses vont peu à peu célébrer le logo et l’emblème pour s’adapter à une génération qualifiée de “nouveau-riche”. L’exagération est permanente, la mode investit dans un nouveau phénomène duquel elle ne dépendait pas auparavant : le marketing. Dans les années 1990, la marque va vendre son image à tout prix. Les ceintures, les sacs, les lunettes, les polos sont griffés des sigles de leur marque. Moschino ou Versace vivent, dans ces années là, leur heure de gloire. Aujourd’hui encore, ces deux marques sont réputées pour le faste qu’elles proposent.
Dans l’ouvrage No logo publié en 2000, Naomi Klein explique “Après avoir contribué à l’ostentation affectée, le logo devint graduellement un accessoire de mode. Surtout, le logo lui-même augmentait en taille, l’emblème de deux centimètres se dilatant jusqu’à devenir une enseigne pleine poitrine.” Certaines marques ont peiné à retrouver le chic originel propre au luxe. Cet étalage de richesse est venu biaiser la notion d’exclusivité intrinsèque à l’industrie du Luxe. Les marques sont peu à peu retournées vers une élégance plus contrôlée pour garder la main mise sur leur image.
Certaines marques essayent encore aujourd’hui de maintenir leur image qualitative et exclusive. Nous pouvons prendre l’exemple de Christian Louboutin qui refuse que ses chaussures soient exposées dans l’émission de télé-réalité Les Marseillais. La marque aux semelles rouges impose que ses produits disparaissent des plateaux de ce type d’émission, bien qu’aucune action en justice ne soit menée. Nous voyons ici que les nouveaux acteurs du bling, les starlettes de télé-réalité ne sont pas toujours en moyen de s’approprier les codes d’une marque de luxe. Certaines griffes tiennent à leur image et s’attachent à faire perdurer un fantasme élitiste.
Premièrement, la chanteuse se replace immédiatement dans le contexte de 2004 dans lequel l’artiste K-maro a sorti son tube, très influencé par le RnB américain. Cependant, Coeur de Pirate ne souligne pas simplement un effet de mode. Lorsqu’elle apparait vêtue en Louis Vuitton ou en Gucci de la tête au pied, la jeune femme délivre un message lourd de sens. Nous pouvons y voir un phénomène paradoxal. D’abord, Coeur de Pirate tourne en ridicule de manière plutôt flagrante ce luxe exubérant. L’outfit intégralement brandé Gucci en début de clip lui donne cette allure “nouveau-riche”, un too-much qui tranche avec le raffinement d’une industrie d’élite. Le luxe est alors synonyme d’abondance et de profusion bien plus que d’élégance. Les codes de ces marques sont bouleversés au profit de cette ostentation. Ainsi, la chanteuse tourne en ridicule le monde des podiums en le poussant à son paroxysme. L’exagération caricature ainsi les personnalités exposant cette profusion d’articles de luxe. Coeur de Pirate se raille donc d’un mode de vie démonstratif, orgueilleux.
Cependant, cette exhibition donne à la jeune femme une posture qu’on pourrait qualifier de Badass. Pourquoi ? Le terme badass vient de l’argot américain, il qualifie une personne qui détient une ou plusieurs qualités à un degré hors norme. Ici, coeur de pirate est hors-norme, elle semble nous dire “Ah bon, vous ne portez pas l’intégrale Louis Vuitton sur le bord d’une piscine vous ?”. De cette manière, la chanteuse s’écarte du groupe pour devenir une entité à part, un être sensationnel loin de la plèbe habituée aux boutiques Zara. Coeur de pirate prend ainsi une posture de puissance, le menton levé, elle est fière de montrer au monde la vitrine de son succès.
Bien que le but premier de ce clip soit certainement de tourner en ridicule l’accoutrement de l’ostentation, d’en faire un déguisement qu’on enfile pour railler les personnalités démonstratives, Coeur de Pirate, en l’enfilant, devient l’incarnation vivante de l’orgueil. Elle exagère sa propre valeur en exagérant la valeur de ses vêtements. Grâce à sa tenue, la chanteuse montre une hyper-satisfaction d’elle-même, une fierté et un amour propre qu’on ne peut que lui envier.
Le bling-bling apparait alors comme un style entre-mêlant dignité et suffisance, rendant celui qui le porte tout aussi ridicule que désirable.
Le Dehors.