Publicité Wonderbra – Eva Herzigova, 1994
Madonna en corset Jean-Paul Gaultier lors de sa tournée “Blond Ambition”
Lady Diana accompagnée de John Galliano en robe nuisette – 1996
Hier soir, j’étais d’anniversaire. J’ai choisi avec précaution mon pantalon, ma chemise, mes chaussures. Cependant, je me suis surprise à choisir avec encore plus d’attention mon soutien-gorge, pièce indispensable d’un outfit bien ficelé.
Mais pourquoi ce vêtement intime se montre aujourd’hui sans pudeur ni retenue ? Comment le soutien-gorge ou le choix délibéré de son absence est-il devenu l’ultime détail d’une féminité exacerbée ? C’est ce que nous allons chercher à comprendre aujourd’hui.
D’abord, il faut se rappeler que le soutien-gorge possède un ancêtre quelque peu cruel : le corset. Conçu en métal ou en fanons de baleine fins, souples et solides, le corset amplifiait la poitrine tout en affinant la taille. C’est d’ailleurs de cet aïeul que vient le terme, encore utilisé aujourd’hui, “baleine de soutien-gorge”.
Dès 1904, les Suffragettes puis les Françaises protestèrent contre ce sous-vêtement jugé tyrannique.
Néanmoins, il a fallu attendre un homme (eh oui, un homme) pour que la parole de ces femmes soit entendue. C’est Paul Poiret qui révolutionna complètement la silhouette féminine, en libérant le corps des femmes de ce corset oppressant. Dorénavant, les silhouettes sont fluides, lestes. Ces silhouettes tout droit inspirées du Directoire (26 octobre 1795 – 9 novembre 1799) ont eu de réelles répercussions sociales. Poiret signe la fin des silhouettes victoriennes de faux-derrière et de taille de guêpe (Kim K y reviendra).
Enfin, la Première Guerre mondiale acheva le travail. Les femmes envoyées dans les usines ont eu besoin d’une plus grande amplitude de mouvement et le corset s’est raccourci pour devenir le soutien-gorge que nous portons aujourd’hui.
“Corselet”, “maintien-gorge”, autant de noms et d’euphémismes pour éviter d’évoquer le terme “sein” encore trop évocateur dans les années 1910, le soutien-gorge s’est imposé comme le sous-vêtement révolutionnaire. De nombreux brevets ont été déposés par des figures comme celles de Rose Kleinert, Samuel Gossard ou encore Gabrielle Poix, mais c’est celui de Caresse Crosby (nom de mariage), qui connu le plus franc succès dès 1914.
Le soutien-gorge n’était au commencement que deux simples triangles de tissu reliés par des rubans. Bien que ravissant, cette version avait du mal à soulager les poitrines généreuses. Les femmes devront attendre les années trente et deux enseignes américaines, Maiden Form et Lovable, pour voir débarquer différentes tailles de bonnets, rembourrages ou maintiens.
Dans les années cinquante, la mode est généreuse. Les américaines sont voluptueuses, affichant fièrement des poitrines conquérantes. Jayne Mansfield en est le parfait exemple. Les seins sont pigeonnants, les soutien-gorges sont structurés. Cette mode sera renforcée dans les années 1990 par la marque Wonderbra et sa célèbre campagne “Regardez-moi dans les yeux. J’ai dit les yeux”.
Enfin, c’est la marque anglaise Agent Provocateur qui rendra le soutien-gorge définitivement glamour, toujours sexy et incontestablement érotique avec ses campagnes publicitaires dignes du quartier Rouge Amstellodamois.
Peu à peu, le soutien-gorge se dévoile. Bien que le Wonderbra ait instauré la norme de l’ampliforme, des hommes comme Rudi Gernreich offrent une autre alternative dès les années 1960 avec la tendance du “no-bra”. On habille alors les poitrines d’un voile léger, presque transparent. Ainsi, elles ne sont pas soutenues mais simplement “habillées”. Eh oui, le soutien-gorge passe alors de l’univers du dessous à celui du dessus !
C’est le début de la grande épopée des dessous au-dessus !
En 1940, le couturier Jacques Fath lance une collection de robes de soirée qui se lacent dans le dos, imaginée à la manière du corset. Vint ensuite les punks qui arboraient fièrement leurs bas en résilles et leurs soutien-gorges dans les rues londoniennes.
Progressivement, cette tendance va s’installer. Jean Paul Gaultier habille Madonna d’un corset aux seins taillés en pointe pour sa tournée “Blond Ambition” en 1990. John Galliano ira même jusqu’à envelopper Lady Diana d’une nuisette transformée en robe du soir lors du Met Gala de 1996. L’image scandaleuse de la princesse si décente fît le tour du monde. Le paradoxe de la lingerie est né. Le dessous/dessus est alors un accessoire de mode, un style, une élégance. On ne se dévêtit pas, non, on s’habille différemment. Les tenues sont plus légères, plus fluides.
Certes, les tenues sont plus aguicheuses mais les femmes s’approprient leur corps par une sexualisation affirmée. Le corps n’est plus un objet mais un outil.
Aujourd’hui, le soutien-gorge est un accessoire, au même titre que nous choisissons notre sac à main chaque matin, nous choisissons également nos sous-vêtements dans le but qu’ils apparaissent. Les dessous passent par dessus pour rendre à la femme sa féminité longtemps volée et transformée par une société patriarcale.
Alors que le corset, dans les années 1900, donnait au corps de la femme une apparence biaisée, le soutien-gorge fin, souple et délicat octroie aujourd’hui à chacune le droit de montrer son corps tel qu’il est. Cette lingerie apparente semble donc être un message social : “Me voilà telle que je suis, sans rien à cacher, ni rien à montrer“. Cet acte d’exposition de la lingerie propose ainsi une autre vision de la féminité. En renforçant de manière si frontale la sexualisation de la femme, celle-ci devient alors maitresse de sa propre sexualité.
Bertrand Blier dans Existe en blanc propose “Un soutien-gorge bien ajusté, ça ne vous rate pas son homme, c’est une grenade qui vous pète à la gueule“. Alors oui, le soutien-gorge est une arme, une arme de construction massive à l’heure où la femme a encore besoin de prouver sa légitimité à s’exprimer, à s’émanciper, à s’estimer.
Cette affirmation d’une pièce du domaine de l’intime donne à la femme le pouvoir d’exister dans un corps social. Le soutien-gorge est le joker qu’on ne cache plus dans sa manche, mais celui qui permet d’affirmer sa féminité tout en assumant sa volonté de maitriser son corps et ce qu’en fait la société.
Alors, who runs the world ? My bra, for sure.
Le Dehors.